Depuis l’avènement d’internet et de la vente en ligne, un thème récurrent alimente la presse : celui de la disparition des librairies indépendantes et des bouquinistes. Cependant deux décennies plus tard, ils demeurent des acteurs indiscutables du paysage culturel. Pour autant, face à la politique commerciale du géant Amazon et des chaînes de distribution, leur situation reste précaire. Au-delà des facteurs économiques propres à l’industrie du livre, les libraires sont confrontés à la révolution numérique et aux bouleversements qu’elle a introduits dans le comportement des acheteurs. Libraires et communication digitale sont-ils faits pour s’entendre ? Pourtant, le web et sa pléiade d’outils ne pourraient-ils pas en fin de compte, être les garants de l’indépendance d’une profession de cœur ?
Le vague à l’âme d’une profession de cœur
Les chiffres sont éloquents.
- L’année 2022 a été témoin de la création de 142 établissements et de 51 reprises pour 27 fermetures.
- La France dénombre 3700 librairies indépendantes pour 20 à 25 000 points de vente.
- Elles représentent 40 % des parts de marché, devant les grandes surfaces et internet.
- Le e-commerce s’octroie quant à lui 15 % des ventes.
De prime abord, ces statistiques sont de bon aloi. Elles peuvent laisser penser que le secteur est dynamique et en excellente santé. Pourtant la situation est tout autre. En effet, ces données doivent être nuancées par celles de la Banque de France qui classifie l’activité comme l’une des moins rentables, la marge de bénéfice (en termes de résultat net moyen) s’élevant à seulement 1 %.
Si la responsabilité incombe en grande partie à l’industrie du livre et aux taux de remise accordés, d’autres facteurs doivent être pris en considération et sont source d’inquiétude pour l’avenir.
Tout d’abord, il est indéniable que les modes de consommation ont évolué. Avec l’extension du haut débit, les acheteurs ont découvert le confort du e-commerce. La crise COVID et les confinements successifs les ont habitués à recourir à ce processus d’achat. Si la période post-pandémie les a vu se ruer dans les commerces de proximité, comment vont-ils se comporter face à la crise économique et à la baisse de pouvoir d’achat ? Combien d’entre eux sont contraints de revoir leurs dépenses à la baisse et de limiter leurs déplacements ?
Par ailleurs, une étude du Centre National du Livre pointe le désintérêt des jeunes pour la lecture. Un jeune interrogé sur trois reconnait ne pas lire et avoue consacrer dix fois plus de temps aux écrans qu’il n’en accorde aux ouvrages papier. Cependant, elle souligne également deux points cruciaux :
- la popularité des mangas ;
- l’importance des réseaux d’influence.
En effet, 10 % d’entre eux affirment avoir été orientés dans leurs choix littéraires par les réseaux sociaux ou les plateformes de streaming.
Cette dernière information place ainsi sous les feux des projecteurs, les enjeux liés à l’exploitation de la sphère numérique.
Les librairies en quête de diversification
« Si la passion vous anime, laissez la raison tenir les rênes » — Benjamin Franklin.
À n’en pas douter, les libraires et les bouquinistes sont avant tout des passionnés. Pour autant, ce ne sont pas des illuminés. Conscients que la librairie des années cinquante ne pourrait pas survivre, leurs propriétaires se sont démenés afin de désacraliser les établissements et les transformer en lieux d’échange.
En accueillant des auteurs, souvent locaux, ils sont parvenus à fédérer une communauté de lecteurs enchantés de renouer avec l’histoire des terroirs et de partir à la rencontre de lieux familiers, mais curieusement étrangers.
Dans les cafés littéraires, les parfums de l’encre et du papier fraichement imprimé côtoient les nectars des cafés brésiliens ou des thés kényans tandis que d’appétissantes pâtisseries incitent la clientèle à la gourmandise.
Ici, ce sont des bénévoles issus du milieu associatif qui animent des réunions autour de thèmes fédérateurs tels que l’écosystème ou la biodiversité tandis que dans les arrière-salles des clients s’adonnent aux joies des jeux de société.
En milieu rural, la librairie revendique la place, autrefois occupée par les bars. Profitant de la disparition progressive de ces derniers, elle a su imposer ses codes et est devenue une pièce essentielle du maillage territorial.
L’offre s’est également diversifiée. Élargissant son horizon à la culture en général, il n’est pas rare de trouver sur les étagères :
- des articles de papeterie ;
- des marque-pages ;
- des pochettes pour livres ;
- des loisirs créatifs ;
- des jeux de société ;
- des figurines de personnages de mangas ;
- des objets artisanaux.
Les librairies regorgent de vie et sont devenues des espaces propices à la discussion et au partage.
Pour autant, si elles parviennent à conserver de l’attractivité pour leurs habitués, elles continuent à manquer cruellement de visibilité. Libraires et communication digitale sont-ils appelés à collaborer étroitement ?
Libraires et communication digitale, un monde à conquérir
Certes, les librairies ont massivement investi dans l’internet, soutenues dans leur action par la création de portails collectifs. Rares sont celles qui, aujourd’hui, ne disposent pas d’une présence sur la toile. Pour autant, peut-on réellement affirmer que la conversion numérique est aboutie ?
En effet, il est regrettable que nombre de ces sites ne soient en réalité que des vitrines de vente.
Or quelles sont les valeurs revendiquées par les libraires ? Ces hommes et ces femmes ne sont-ils pas des acteurs de proximité animés par la passion, avides de transmettre leur amour des mots, de jouer leur rôle de conseiller, d’inciter à la découverte ? Dès lors, une simple boutique en ligne peut-elle refléter cette fougue ? Dans quelle mesure se distingue-t-elle de celle de l’ennemi désigné, à savoir Amazon ?
Certes, certains libraires consacrent un temps démesuré à publier des chroniques, probablement mus par le plaisir d’écrire. Mais est-ce suffisant ?
Si l’enjeu consiste à fidéliser et à séduire la clientèle, il serait néfaste pour le libraire de considérer que son site ou son activité sur les réseaux sociaux doivent se contenter d’être des instruments de vente.
Bien au contraire, ils doivent s’affirmer comme étant de véritables canaux de communication propres à choyer le lien avec le lecteur. Plus que de vulgaires cartes de visite, ils doivent être habités par l’âme et les motivations de leurs propriétaires.
À cet effet, le monde digital met à disposition toute une panoplie d’outils :
- la newsletter, indispensable pour diffuser l’information directement chez le lecteur ;
- le blog, la référence lorsqu’il s’agit de maintenir le contact avec son audience ;
- les médias sociaux, cruciaux dans la gestion de l’évènementiel.
Demain, libraires et bouquinistes joueront un rôle d’influenceur. C’est au prix de cette démarche qu’ils parviendront à séduire de nouvelles générations tout en conservant leur singularité.
Malgré des efforts et une détermination admirable, les librairies n’ont pas achevé leur mue numérique. Après avoir scruté un grand nombre de sites et de médias sociaux, un parfum d’inachevé me titille les narines. Pourtant les libraires ont tout intérêt à envisager la communication digitale comme une alliée voire comme la garante de leur indépendance. Le web est une mine d’or pour celui qui en maitrise les arcanes et qui fait preuve d’un peu d’audace. L’avenir appartient aux audacieux, parait-il. Les libraires sont des passionnés. Nul doute qu’ils continueront à nous prodiguer leur amour des mots. Tant qu’il y aura des auteurs du moins…
Retour de ping : communication digitale au sein des librairies | l’enquête